L’Art de la conversation au début du XIXème siècle

Savoir converser en toutes circonstances est un art subtil mais nécessaire pour briller en société. La manière dont nous communiquons a toujours été le reflet de notre époque, de nos valeurs et de notre culture. Que diriez-vous donc de remonter le temps et d’explorer les codes de la conversation du début du XIXe siècle (avec un petit côté taquin quand même) ?

Nous plongeons aujourd’hui dans une source primaire de 1829 qui s’intitule Code de la conversation, manuel complet du langage élégant et poli, contenant les lois, règles, applications et exemples de l’art de bien parler. Un beau titre à rallonge comme pour de nombreux manuels de l’époque. Il s’agit d’un ouvrage rédigé par Horace-Napoléon Raisson, auteur de nombreux autres petits manuels dans le même genre comme le Code de la toilette ou le Code du littérateur et du journaliste.

Une œuvre à prendre au second degré

Le ton de l’ouvrage est légèrement facétieux et cela rend la lecture très divertissante. Quand Horace-Napoléon Raisson nous précise que pour parler il faut en premier lieu avoir une langue et que c’est également mieux d’avoir des dents, il est plutôt évident qu’il ne s’attend pas sérieusement à ce que ses lecteurs découvrent cela comme un grand secret de la conversation.

Je n’avais pas forcément saisi le second degré à la première lecture. Je m’étais d’abord dit que l’auteur prenait un peu ses lecteurs pour des neuneus et qu’il pensait qu’il fallait tout leur expliquer. Cependant, en lisant d’autres extraits des manuels du même auteur, il est devenu de plus en plus évident que nous avons affaire à un esprit taquin !

Par exemple, dans le code du littérateur il nous dit que « Pour se faire littérateur, il faut savoir lire et écrire, et à peu près l’orthographe […] mais cette condition n’est pas indispensable : demandez plutôt à MM. les vaudevillistes et romanciers« .

Horace Raisson se livre ainsi à une forme de satire douce des travers de ses contemporains. Pour notre plus grand plaisir. Malgré le ton humoristique, ses manuels sont une source précieuse d’informations quant aux mœurs de l’époque et c’est absolument passionnant à découvrir. Alors sans plus attendre découvrons ces fameux codes de la conversation !

Tout d’abord, avez-vous une langue ?

On commence par une révélation choquante, à savoir que :

 la langue est la condition sine qua non de toute personne qui veut parler.

Voilà, la bombe est lâchée.

On apprend aussi qu’il existe des langues trop longues et trop courtes qui perturbent le diction.

Les langues trop longues ont, il semblerait, l’inconvénient de donner un air bête à leur propriétaire car elle ont tendance à dépasser de la bouche. De plus votre interlocuteur se trouvera fréquemment aspergé d’une ‘espèce de rosée’, nous dit Horace à travers cette élégante périphrase.

Si vous avez une langue trop courte, point d’inquiétude. Vous pourrez vous entraîner, comme Démosthène, à déclamer avec des cailloux dans la bouche devant une mer agitée, nous dit-on.

Dans tous les cas, ne montrez jamais votre langue, cela est réservé aux gens sans éducation et c’est très impoli.

Gare à votre bouche !

Pour ce qui est de la bouche, on nous apprend qu’il ne faut pas se battre contre la bouche que la nature nous a donnée et que le fond compte plus que la forme.

Et juste après on nous dit que les gens d’esprit auraient soi-disant toujours une petite bouche. La forme importe donc peu, sauf quand il s’agit d’avoir l’air intelligent il semblerait. Le crime ultime étant toutefois de faire semblant d’avoir une petite bouche nous dit-on !

Quand on est surpris, il faut veiller à « ne pas laisser voir l’intérieur de la maison, avec les dents, la mâchoire, la langue et autres accessoires« . Alors n’allez pas montrer l’intérieur de la maison à n’importe qui !

De même, lorsque l’on rit, il est préférable de le faire la bouche fermée plutôt que de laisser échapper « une grosse gaîté ». De la retenue, toujours de la retenue.

Notre ami Horace explique qu’il ne faut pas garder la bouche ouverte lorsque l’on écoute quelqu’un raconter une histoire intéressante car ‘les idiots ne la ferment jamais, c’est de principe’. On ne doit pas non plus trop en faire lorsque l’on lit un texte à voix haute car ‘un lecteur ne peut […] avoir l’air d’un possédé’ nous dit-il.

Son dernier conseil au chapitre de la bouche est de se tenir toujours à une distance raisonnable de son interlocuteur pour prévenir ‘un rhume inattendu ou les accidents qui motiveraient la précaution d’un parapluie‘. Atchoum ! En tout cas c’est bien dit.

Comment se comporter dans un salon au début du XIXème siècle

Selon Horace Raisson :

Un salon doit être considéré comme un théâtre, où l’on est appelé à jouer un rôle devant un public qui applaudit et qui siffle, selon qu’il trouve l’acteur bon ou mauvais : il faut donc s’observer en observant les autres […].

Dans le grand théâtre des salons aristocratique on adopte donc un ton sévère et presque solennel. On doit parler peu et rappeler souvent le titre de celui à qui l’on parle.

Dans les salons de la bourgeoisie l’ambiance est plus détendue, les hommes rient volontiers à des calembours mais il faut porter une attention toute particulière aux femmes qui aiment être flattées.

Quand on arrive dans un salon de plus de dix personnes, on salue le groupe en inclinant la tête et l’on n’adresse la parole qu’au maître et la maîtresse de maison. Ensuite on entre dans une conversation quand une opportunité se présente.

L’auteur nous explique même comment se taper l’incruste dans un salon sans y être directement invité par l’hôte. L’idée est de rentrer avec assurance quand il y a un petit mouvement de foule et de s’immiscer dans les conversations comme si l’endroit nous appartenait, en faisant des aller-retours entre les groupes.

Parler aux femmes

Parler aux femmes est plutôt simple. Selon l’auteur :

Il faut, en parlant aux femmes, se rappeler constamment qu’elles veulent d’abord savoir ce qu’on pense d’elles en bien, ensuite ce qu’on pense des autres femmes en mal.

Ensuite, on la flatte et on lui dit qu’elle est jolie même si c’est un tromblon. Car, d’après Horace, la coquetterie est la plus grande affaire de la vie d’une femme. Il semblerait aussi que les femmes n’aiment pas les longues phrases ni les grands mots, alors messieurs soyez brefs dans vos histoires. Et n’oubliez pas de garder le sourire, les femmes aiment bien les hommes qui sourient.

Parler aux hommes

Pour parler aux hommes, il faut thématiser temporellement : on parle de l’avenir aux jeunes, du présent aux hommes mûrs et du passé aux vieillards. Autant que possible, il faut éviter d’avoir à converser avec des idiots et ignorants, on préfère bien entendu la compagnie des hommes d’esprit.

On conseille de ne pas étaler sa science, que l’objectif n’est pas de montrer ce que l’on sait mais plutôt de mettre en valeur l’intelligence de son interlocuteur. Voilà qui gagnerait à être plus répandu dans nos conversations contemporaines. De même, il est de mauvais goût de parler de ses richesses et de ses titres de noblesse.

Il ne faut pas parler de ses propres richesses et titres mais n’oubliez pas en revanche de toujours mettre en avant celles de votre interlocuteur !

Quel sujet de conversation pour quel interlocuteur ?

Lorsque l’on arrive dans un salon, il est important d’écouter les annonces des laquais pour savoir qui est dans l’assistance. Ensuite, il faut adapter sa conversation à son interlocuteur. Et surtout le flatter de manière appropriée pour vous faire bien voir !

A un médecin, on ne parle pas de malades ou de maladies et on n’essaie surtout pas de transformer la conversation en consultation gratuite. Par contre vous pouvez lui dire que vous le connaissez de réputation et lui parler de science ou de littérature.

A un poète, faites des compliments sur ses vers et son style. Il vous trouvera tout à fait charmant.

A un avocat ou un juge, vous pourrez parler de ses affaires et lui poser moult questions sur diverses procédures.

Aux gens de commerce et aux banquiers, vous vanterez la valeur du commerce en général.

Aux employés de ministères vous pourrez vous permettre quelques plaisanteries sur la bureaucratie mais la conversation devra tourner autour de la haute administration et de la politique. N’oubliez pas de les flatter sur l’importance de leur fonction.

Aux étudiants vous pourrez parler de leurs études et des classiques de la littérature.

Faire preuve de modestie

On ne vous demande pas d’être réellement modeste mais d’en donner l’illusion. L’auteur nous rappelle que la meilleure façon pour qu’on dise de bien de nous et de ne jamais en dire nous-même. Il explique que vos interlocuteurs n’auront aucun mal à vous croire si vous faîtes votre propre critique mais qu’ils auront toujours des doutes si vous chantez vos propres louanges.

On conseille de préférer des formulations dubitatives comme « il me semble », « sauf erreur » ou « peut-être pourrait-on dire que ». C’est l’outil parfait quand on veut paraître modeste.

Epoque différentes mais codes sociaux identiques : vous connaissez surement des personnes qui aiment bien dire « mais peut-être que je me trompe » à la fin de leurs phrases pour feindre de la modestie mais qui au fond sont persuadées d’avoir raison. Ce sont les mêmes gens qui disent « sans vouloir te commander » ou « n’hésite pas à » au lieu de « peux-tu » pour donner une illusion de choix 🙂

Si vous avez apprécié ce petit manuel de la conversation et que, comme moi, vous aimez vous plonger dans les mœurs d’une époque, je vous invite également à découvrir d’autres articles connexes comme l’étiquette de bals au début du XIXème siècle ou l’étiquette des dîners en 1829. Et si la période du début du XIXème siècle vous intéresse, pourquoi ne pas explorer cette routine capillaire authentique de 1828 ou encore découvrir les péripéties d’une girafe à Paris en 1827 qui inspira de multiples créations, de pièces de théâtre jusqu’aux coiffures des dames !

Amusidora

Hello ! Moi c'est Claire. Eternelle curieuse, je suis passionnée d'Histoire de la mode et d'histoires insolites, toujours en quête de nouvelles choses à apprendre (et souvent difficiles à placer en soirée, certes). J'adore me plonger dans de vieux livres d'époque et je collectionne aussi de vieux papiers et des revues anciennes. Mes sujets de prédilection ? La première moitié de XIXème siècle et la période Art Déco, mais pas uniquement. Je partage ici mes trouvailles pour tous les curieux qui voudront bien passer un moment sur ce blog.

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