Le Cinéorama : mystère de l’Exposition Universelle de 1900

Imaginez-vous à l’aube du XXe siècle. L’Exposition Universelle est le point culminant de toutes les avancées technologiques du siècle précédent. Des attractions révolutionnaires attirent la foule curieuse et avide de nouveautés. C’est dans ce contexte de progrès en ébullition que le Cinéorama voit le jour.

Le Cinéorama, tentative audacieuse de cinéma à 360°, a été imaginée par l’ingénieur Raoul Grimoin-Sanson et promettait de plonger les spectateurs au cœur d’une expérience visuelle sans précédent, les faisant voyager autour du monde sans quitter Paris. Une prouesse technique annoncée comme le clou de l’Exposition Universelle de 1900, mais quelque chose cloche. Les sources de l’époque et les témoignages de Grimoin-Sanson ne concordent pas.

Le Cinéorama aurait-il seulement vu le jour ?

En m’appuyant sur les recherches de l’historien du cinéma Jean-Jacques Meusy et des documents d’époque, je vous emmène découvrir l’histoire fascinante et mystérieuse du Cinéorama entre ambitions de progrès et réalité technique.

Contexte : la passion des panoramas

En 1900, la technologie du film est toute récente et le cinéma en est à ses balbutiements. Le cinématographe des frères Lumière n’existe que depuis cinq ans. Pourtant, dès 1896, un certain Raoul Grimoin-Sanson, avait déjà déposé un brevet pour son invention nommée le « Cinéorama ».

Concaténation de « cinéma » et de « panorama », ce cinéma d’un nouveau genre devait être le clou de l’exposition universelle de 1900 et attirer à lui seul des milliers de visiteurs.

Au début du siècle, les panoramas étaient un divertissement populaire, bien que sur la fin de leur âge d’or. Le Maréorama de l’Exposition Universelle (qui, lui, a bien existé) témoigne de cet engouement pour les panoramas. Les passagers pouvaient s’installer sur le pont d’un faux bateau à vapeur entouré de deux écrans panoramiques défilants simultanément, donnant ainsi l’illusion du déplacement. Le tout agrémenté d’effets sonores pour rendre l’expérience encore plus immersive.

Aimez-vous les panoramas ? On en a mis partout. Sans compter les spectacles particuliers tels que le Tour du Monde, le Transatlantique, la Mission Marchand, etc.

L’exposition universelle de 1900, Louis Rousselet. p.287
Le Maréorama et son système à deux écrans défilants.

Du panorama au Cinéorama

Le Cinéorama n’est quant à lui qu’une évolution des panoramas. Le concept est simple pour nos yeux contemporains : un grand écran circulaire de 36 mètres de diamètre composé de 10 panneaux blancs. Au centre, une plateforme imitant un ballon avec une nacelle où les visiteurs peuvent s’installer. En-dessous de la nacelle, dix projecteurs, correspondants aux dix écrans blancs, projettent un film de manière simultanée. Dans les journaux de l’époque, on nous présente l’attraction ainsi :

[les visiteurs sont successivement transportés] à Saint-Pétersbourg, sur la perspective Newsky; à Constantinople, sur le pont de Galata; au désert, en pleine cohue de fantasia arabe; à Vienne, sur le Prater; à Nice, dans la folie d’un carnaval; en Suisse, sur les cimes désertes d’un glacier; en Espagne, au milieu d’une corrida ensoleillée et tumultueuse; en pleine mer, pendant la tempête; ou dans le désordre d’une bataille, parmi les évolutions de l’artillerie, et les charges folles des cavaliers.

Figaro du 9 avril 1900
La seule représentation iconographique que l’on peut trouver de l’intérieur du Cinéorama de l’Exposition universelle de Paris. Selon Wikipédia, il s’agit d’un dessin paru dans le Scientific American du 1er septembre 1900.

10 cinématographes pour capturer ce film panoramique

La prouesse annoncée est donc tout à fait extraordinaire : pouvoir effectuer un tour du monde sans même quitter Paris, à travers un système ingénieux et immersifs d’écrans multiples. Rappelons que nous en sommes encore à l’époque des films muets en noir et blanc n’excédant pas 60 secondes. La mise en place d’un tel procédé est encore plus admirable pour l’époque car il faut tout d’abord filmer ces fameuses images panoramiques avec du matériel très lourd et encombrant.

Le 24 avril 1900, notre ingénieur Raoul Grimoin-Sanson décolle des Tuileries dans un ballon arborant le nom « CINEORAMA ». Il emporte avec lui dix cinématographes reliés par une structure en bois et décolle accompagné de M. Mallet, le comte de la Vaulx de l’Aéro-Club et quatre aides (les 10 cinématographes nécessitant à eux-seuls la force de trois hommes pour en entrainer le mécanisme). En voyant les photos de ce ballon chargé de tout son matériel, on se demande presque comme ils ont réussi à faire monter six personnes dans cette petite nacelle.

L’illustration ci-dessous montre la structure permettant de garder en place les 10 cinématographes sur une base circulaire et la façon dont il fallait opérer le mécanisme pour entraîner les bobines de film de manière simultanée :

Une ascension au dessus de Paris

L’objectif pour Grimoin-Sanson est de filmer une ascension et un atterrissage au-dessus de Paris pour que les futurs passagers du ballon Cinéorama aient l’impression qu’ils sont réellement dans un ballon qui les amène de Paris jusqu’aux quatre coins du monde. Les rapports de l’époque et autres articles de presse parlent d’un « atterrissage mouvementé » du ballon qui n’aurait pas permis de filmer correctement le retour à la terre ferme. Le film du décollage sera donc diffusé à l’envers, comme un rembobinage, pour donner l’illusion sur l’écran que le ballon métaphorique revient bien à son point de départ à la fin du voyage. Ingénieux !

Si une simple balade en ballon au-dessus de Paris peut déjà s’avérer délicate, on est alors en droit de se demander comment notre ami Grimoin-Sanson a bien pu réussir à filmer les autres morceaux de son film panoramique comme « les cimes désertes d’un glacier » ou « la mer en pleine tempête ». Ces scènes époustouflantes promises aux visiteurs par les journaux de l’époque avant l’Exposition n’ont peut-être jamais été filmées. Ou peut-être que l’intention était de les filmer en studio avec des effets spéciaux ? En 360°, cela aurait été une belle prouesse quoi qu’il en soit.

On ne trouve en tout cas pas de sources qui parlent du tournage des autres scènes prévues pour le Cinéorama à part ce fameux vol au-dessus de Paris. Cela semble confirmer la théorie de Jean-Jacque Meusy, historien du cinéma, selon laquelle le Cinéorama n’aurait jamais fonctionné correctement lors de l’Exposition Universelle.

A l’étage de la brasserie Kammerzell

Une chose est certaine, le Cinéorama devait bien être une attraction de l’Exposition Universelle de 1900. Il devait se trouvait à l’étage de la brasserie Kammerzell, reproduction exacte de la brasserie du même nom à Strasbourg. Sur la photo ci-dessous appartenant à la galerie Roger Viollet, on peut voir avec beaucoup de détails à quoi ressemblait le bâtiment. On aperçoit même les panneaux indiquant l’entrée du cinéorama et les mentions « Ballon », « Cinéorama » et « Restaurant » en lettres gothiques autour du toit :

Le Cinéorama au-dessus de la brasserie Kammerzell. Crédit: Galerie Roger Viollet, Paris

Le Figaro nous explique que l’association du Cinéorama et de cette maison Kammerzell allait être une vraie réjouissance pour les visiteurs de l’Exposition :

Le Cinéorama occupe, au pied de la Tour Eiffel, une surface de 1 200 mètres ; et, comme toutes les attractions de l’Exposition, il devait offrir à sa clientèle un coin propice aux flâneries, et où le voyageur, après les émotions d’une course aussi rapide à travers le monde, pourrait reprendre pied et se restaurer. Or, ce restaurant sera à lui seul une attraction : ce sera la fameuse maison Kammerzell, du vieux Strasbourg, exactement restituée et qui mettra, parmi les amusements et les surprises de cette prodigieuse fête des yeux, sa note d’art reposante et jolie. Le Cinéorama sera l’une des joies de 1900.

Figaro du 4 avril 1900

On notera l’usage étrange de l’imparfait « il devait offrir » pour parler du Cinéorama. Comme si, avant même de voir le jour il avait déjà été annulé. Suivi de l’usage du futur dans « Le Cinéorama sera l’une des joies de 1900 », les temps ne concordent pas et c’est très étrange. Jean-Jacque Meusy fait la même réflexion dans son analyse du mystère du Cinéorama.

En tout cas, la première (et semble-t-il unique) représentation ne s’est pas tout à fait passée comme attendu (si elle a seulement eu lieu).

La première représentation qui n’a jamais eu lieu ?

On n’a que peu de détails sur la projection de ce film panoramique lors de l’Exposition de 1900. Les journaux de l’époque parlent surtout du Cinéorama en présentant ce qu’il aurait dû être et comment son créateur l’imaginait en fonctionnement. On annonçait de manière confiante :

Le cinéorama donnera quotidiennement, dès les premiers jours du mois prochain, une série ininterrompue de représentations, de l’heure de l’ouverture jusqu’à celle de la fermeture des portes de l’Exposition. Et l’on peut prédire qu’il ne désemplira pas.

Le Gaulois : littéraire et politique, 27 avril 1900

Pour une technologie toute récente avec dix projecteurs qui tourneraient en continu pendant une journée, cela semble ma foi un peu ambitieux. Jean-Jacques Meusy explique dans ses recherches que les témoignages de l’époque et celui Grimoin-Sanson dans ses mémoires ne concordent pas. On dit parfois que le Cinéorama n’aurait jamais ouvert, dans d’autres cas on annonce qu’il n’y a eu que quatre représentations avant la fermeture à cause de difficultés techniques et de surchauffe des projecteurs. Meusy décortique en détail toutes les sources de l’époque et c’est absolument captivant. Je vous invite à lire l’article complet Il explique son raisonnement en détails dans son article L’énigme du Cinéorama pour avoir tous les détails. Sa conclusion est que le Cinéorama n’a jamais fonctionné et que Grimoin-Sanson aurait essayé de sauver l’honneur dans ses mémoires en inventant des difficultés techniques de réalisation.

Un témoignage plausible

Si toutefois quelques représentations du Cinéorama ont bien eu lieu, le témoignage que l’on trouve dans l’Aérophile de 1900 semble être le plus plausible. Il écrit avoir assisté à la première représentation du Cinéorama en juillet 1900 et nous décrit la scène. Voici comment il raconte son expérience :

[…] nous grimpons un escalier rapide qui conduit dans une grande salle circulaire, excessivement sombre, où l’on distingue difficilement une nacelle accessible par un deuxième escalier.

Un gardien, habillé en « capitaine de ballon » ancienne manière, tout galonné d’or, commence son explication. […]

Alors commence un bruit épouvantable, comparable à celui de la machinerie d’un bateau à vapeur et je distingue vaguement, dans la nuit, sous la nacelle, une grande caisse polygonale avec une dizaine d’ouvertures d’où doivent fuser des projections cinématographiques. Le vacarme redouble et l’on ne voit toujours rien.

Le « capitaine » ne s’émeut pas pour si peu lui, il explique, avec une étonnante volubilité, que nous ne distinguons rien parce que nous ne sommes pas encore partis, il suffit de jeter des sacs de lest. On attend encore quelques minutes : fracas et ronflement de machines, coup de sifflet et des filets de lumière s’échappent enfin de l’appareil projetant sur une toile circulaire des images confuses vaguement coloriées. Je comprends alors que ces dix images doivent « théoriquement » se réunir en une seule pour constituer une vue panoramique. Malheureusement il n’en est rien ; aucune n’est à la même hauteur que sa voisine, ça danse terriblement. Les terrasses des Tuileries semblent escalader le ciel, tandis que la tour Eiffel rentre sous terre.

Nouveaux coups de sifflet, les bandes cinématographiques se déroulent avec des vitesses différentes, d’autres se déchirent.

Le « capitaine » crie : « tenez-vous, il y a un peu de vent ! »

Les machines remarchent, huit appareils sur dix seulement se décident à projeter quelque chose : c’est une place à Bruxelles, avec de grands trous noirs, là où il n’y a pas image. […]

Le « capitaine » désarme cette fois; annonce que l’expérience n’ayant pas réussi, les représentations seront suspendues quelques jours pour perfectionnement des appareils, et l’on sort dans le Champ-de-Mars, tandis que les portes du Ballon-Cinéorama sont cadenassées derrière nous.

L’Aérophile, 1900

Les imprécisions techniques des films mal alignées, les projecteurs qui tombent en panne, l’ensemble est plutôt cohérent au vu des technologies utilisées à l’époque. Je me dis que c’est probablement ce qu’on aurait pu attendre avec les moyens techniques de 1900 et des projecteurs alimentés par des lampes à arc.

Quoi qu’il en soit, le 18 août 1900, la Société Française du Cinéorama, société anonyme au capital de 500 000 frs, est mise en liquidation judiciaire et un jugement de faillite est prononcé le 24 octobre par le Tribunal de Commerce de la Seine. Tout le matériel est vendu aux enchères publiques.

Doux rêve de son inventeur ou prouesse technique en avance sur son temps, l’histoire du Cinéorama de l’Exposition Universelle de 1900 est tout simplement fascinante.

Sources :

Le Figaro, avril 1900
L’Aérophile, janvier 1900
L’Aéronaute : moniteur de la Société générale d’aérostation et d’automotion aériennes, mai 1900
Le Gaulois : littéraire et politique, avril 1900
L’Enigme du Cinéorama de l’Exposition Universelle de 1900 – Archive 37, janvier 1991

Amusidora

Hello ! Moi c'est Claire. Eternelle curieuse, je suis passionnée d'Histoire de la mode et d'histoires insolites, toujours en quête de nouvelles choses à apprendre (et souvent difficiles à placer en soirée, certes). J'adore me plonger dans de vieux livres d'époque et je collectionne aussi de vieux papiers et des revues anciennes. Mes sujets de prédilection ? La première moitié de XIXème siècle et la période Art Déco, mais pas uniquement. Je partage ici mes trouvailles pour tous les curieux qui voudront bien passer un moment sur ce blog.

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