L’histoire macabre de la couleur verte

Découvrons l’histoire de la couleur verte. A une époque où nous considérons toutes les couleurs comme acquises et faciles à reproduire, la couleur verte nous semble parfaitement anodine.

Le vert, couleur de la nature, symbole d’espérance mais aussi couleur porte-malheur au théâtre et couleur poison lors ses premiers usages en tant que colorant. La base des premiers pigments verts n’étaient autre que l’arsenic et les ravages de ce mélange mortel ont étaient bien réels lors de ses premières utilisation pour colorer les vêtements et même la nourriture !

Dans cet article, vous en apprendrez plus sur les origines et la composition des premiers pigments verts et la vaste utilisation de cette couleur dans l’univers de la mode au XIXème siècle. Mais l’innovation à un prix. Tout comme Marie Curie n’a pas très bien survécu à son travail sur les radiations, les premières utilisations du pigment vert arsenical ont été quelque peu approximatives et mortelles pour les personnes qui en ont fait les frais. C’est ce que nous allons voir à travers cet article.

Origines du pigment vert

La couleur verte nous vient principalement d’Allemagne et se décline sous une multitude de noms : vert de Scheele, vert de Schweinfurt, vert de Braunschweig, vert de Neuwied ou encore « mitisgrün ». Parmi toutes ces variations, les plus connues en France sont le vert de Scheele et sa version plus intense le vert de Schweinfurt.

Au commencement : le vert de Scheele

En 1778, Carl Wihelm Scheele, chimiste germano-suédois, invente un pigment vert à partir d’une mixture de potassium, d’arsenic blanc et de cuivre. En résulte alors l’arsénite de cuivre : une poudre verte tirant sur le jaune qu’on appellera sans grande originalité le « vert de Scheele ».

Avant cette invention à base d’arsenic, le vert est une couleur qu’on obtient à partir d’un mélange de teinture bleu-vert et de teinture jaune. La teinture naturelle jaune n’étant pas très résistante au soleil, il est difficile de conserver longtemps une belle couleur verte. La couleur verte a donc été une teinture avant d’être un pigment. Les pigments, à l’inverse des teintures, sont insolubles dans l’eau et cela a un impact sur la façon d’appliquer la couleur sur les tissus.

Veste vert de Scheele – Journal des Dames et des Modes, 1797

Une variante plus intense : le vert de Schweinfurt

En 1814, une variante plus concentrée du pigment de Scheele est développée en Allemagne et nommée « vert de Schweinfurt » (ville de son invention) ou « vert émeraude ». Ce vert ne devient connu scientifiquement en France qu’en 1829. Pour les chimistes parmi vous, il est obtenu en mêlant des dissolutions d’acétate de cuivre bibasique et d’acide arsénieux.

Ce vert possèdent des noms multiples selon les pays. En France on l’appelle parfois « vert anglais » mais en Angleterre et aux Etats-Unis il est par exemple connu sous le nom de « Paris green ».

Une vague verte et empoisonnée balaye l’Europe

Quelle que soit sa dénomination, le colorant vert arsenical est rapidement adopté et produit en masse pour diverses applications. Il est notamment utilisé de manière tout à fait innocente pour la peinture, les papiers peints, les gravures de mode, le tissu pour les robes et l’ameublement mais aussi pour les bonbons et leurs emballages ou encore pour décorer des jouets.

Une vague verte balaye ainsi l’Europe avec l’adoption de ce nouveau pigment. Cette vague s’accompagne logiquement d’une série d’empoisonnements à l’arsenic à divers degrés.

Du vert dans les papiers peints et la peinture

On tapisse des pièces entières avec des papiers peints verts ou on peint tout en vert. On voit parfois sur les meubles une fine couche de poussière verte échappée des murs. Le vert arsenical utilisé en grande quantité dans une pièce fermée provoque nausées, douleurs, sensations de faiblesses et étourdissements chez les adultes et les enfants qui s’y trouvent pendant des périodes prolongées.

Femme en train de faire de la broderie dans une pièce baignée de vert – Georg Friedrich Kersting, 1812. Rien qu’en regardant cette pièce on a du mal à respirer 🙂

Dans son études de 1859 Des Différentes sortes d’accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l’industrie, Emile Beaugrand décrit les effets des verts arsenicaux sur un homme et son épouse suite à une exposition prolongée aux papiers peints verts de leur maison :

Un chef de famille, occupant une pièce tapissée avec un papier au vert arsenical, se plaignait souvent de douleurs erratiques dans le cou et dans la poitrine, d’une toux sèche, et de faiblesse générale ; il maigrissait sans qu’aucun signe stéthoscopique rendît compte de cet état. En mai 1843, il fut obligé de s’aliter ; il était atteint d’une dysenterie avec selles sanguinolentes, et d’une faiblesse paralytique des membres inférieurs. Chez sa femme, il se développa des accidents semblables du côté de la poitrine, avec amaigrissement, accélération fébrile de la circulation, qui firent craindre une phthisie.

Des Différentes sortes d’accidents causés par les verts arsenicaux employés dans l’industrie, Emile Beaugrand, 1859.

De nombreux cas d’empoisonnement à l’arsenic à plus ou moins haut degré sont ainsi répertoriés au milieu du XIXème siècle en France, en Allemagne, en Angleterre, en Prusse et en Suède. Des enquêtes sont menées, des rapports sont publiés, on commence à se rendre compte que le vert arsenical est un réel danger pour la santé et qu’il faut le réguler. En Prusse, on va même jusqu’à interdire l’usage du vert dans la décoration des appartements à partir de 1848. D’autres mesures semblables apparaissent également dans toute l’Europe.

Du vert dans les confiseries

Au XIXème siècle, le vert arsenical est aussi utilisé comme colorant pour les bonbons et leurs emballages. L’ingestion de ces bonbons provoque alors de violentes nausées et diarrhées, voire même la mort selon la quantité d’arsenic ingérée.

Les arsénites de cuivre, qui permettent d’obtenir la couleur verte, sont mortels du fait de leur décomposition rapide dans l’estomac, qui laisse rapidement place à de l’arsenic pur.

La plupart des accidents non mortels liés à l’ingestion d’arsénite de cuivre l’ont surtout été grâce au cuivre contenu dans le mélange. En effet le cuivre possède des propriétés vomitives et les chanceux ont donc pu vomir le poison avant qu’il ne puisse intoxiquer l’organisme. Le poison et le remède à la fois en quelques sortes.

Alphonse Chevallier dans ses Recherches sur les dangers que présentent le vert de Schweinfurt, mentionne plusieurs exemples de confiseries vertes aux ingrédients pour le moins douteux. Il parle notamment de papillotes à la « pâte de pistache » dont la couleur avait été obtenue avec de l’indigo et du chromate de plomb. On trouve aussi le cas d’un confiseur ayant réalisé des bonbons bleus et verts à base d’indigo et d’une « couleur verte qui lui avait été remise par un peintre en bâtiments« . Normal.

Du vert si innocent dans des chocolats modernes aurait probablement été fatal dans les années 1850…

Jusque dans les emballages alimentaires

Les emballages de bonbons et chocolats ne sont pas en reste. On a trouvé des emballages de chocolat contenant pas moins de 6 grammes d’arsénite de cuivre par feuille. Les contenants de couleur verte sont légion, on y place des raisins secs, du pain d’épice, on s’en sert comme petits sacs pour emballer divers aliments. Certes, on n’est pas censé manger le papier ni l’emballage, mais quand même.

On a aussi le cas de papiers verts dits « papiers anglais », qu’on avait recouvert d’une poudre de vert arsenical pour leur donner un aspect velouté. La poudre se détachait au moindre frottement de doigt.

A la lumière des nombreux cas d’intoxication, des régulations à destination des confiseurs et des industriels commencent à apparaître dans les années 1830. Mais les industriels s’en moquent et les confiseurs ne sont pas très disciplinés, on trouve encore des traces de vert toxique dans les confiseries bien après le début des régulations.

Du vert dans les vêtements

Au-delà de la décoration intérieure et des confiseries, le vert arsenical fait également son entrée dans le monde de la mode où il devient énormément porté.

Robes, châles, chaussures, gants, tous les accessoires ont droit à leur teinte vert arsenic à un moment donné. On a vu que ce n’était pas très bon d’ingérer de l’arsénite de cuivre mais porter un vêtement vert n’est certainement pas sans risque non plus car le contact de la peau avec l’arsenic provoque des irritations sévères et des pustules.

A l’époque, la quantité d’arsenic présente dans une robe de couleur verte est souvent suffisante pour tuer tous les invités d’un bal. Les serre-têtes ornés de feuillages et fleurs artificielles représentent aussi un danger non négligeable, certains contiennent assez d’arsenic pour tuer vingt personnes.

En 1871, une dame ayant acheté une boîte de gants de couleur verte dans une maison connue et respectable est horrifiée de constater que ses mains sont couvertes des pustules après les avoir portés. Cela se produit lorsque la couleur est simplement appliquée au pinceau et n’est pas scellée, la transpiration des paumes peut alors causer un transfert de l’arsenic dans la couleur sur la peau.

Journal des Dames et des Modes, 1815 – Collection personnelle

Au fil de mes recherches sur le sujet, je me suis rendue compte que j’avais plusieurs gravures de mode à l’arsenic dans ma collection personnelle sans le savoir. Ici, vous pouvez voir une gravure issue du Journal des Dames et des Modes de 1815 présentant une dame vêtue d’une redingote en velours vert.

Au vu de la date de 1815 et de la teinte du vert, j’ai l’impression qu’il s’agit davantage du vert de Scheele que du vert de Schweinfurt qui était un peu plus foncé. Et comme les peintures utilisées pour colorer ces gravures de mode à la main contenait le même composé arsenical que pour colorer les tissus, me voilà donc l’heureuse détentrice d’une gravure de mode à l’arsenic.

Le Bon Ton, 1857 – Collection personnelle

Sur cette autre gravure de mode de 1857 issue du Bon Ton, on peut voir une jeune femme en « sous-vêtements » c’est-à-dire chemise, corset et jupon, entourée de différents ornements à porter sur la tête. Certains de ces ornements présentent des rubans verts et de faux feuillages verts qui a l’époque aurait typiquement été poudrés à l’arsenic. Cette brave jeune fille regarde du côté du chapeau bleu et elle a peut-être raison si elle tient à la vie.

Les ouvrières de l’arsenic

Le danger de ces serre-têtes empoisonnés n’était pas uniquement pour celles qui les portaient mais aussi pour les « fleuristes » qui les confectionnaient. Les ateliers de fabrication de ces feuillages artificiels étaient peuplés de jeunes filles frêles aux mains rongées par l’arsenic à force de poudrer des feuilles en vert arsenical à longueur de journée.

Les ateliers de fleuristes étaient les seuls ateliers où l’on ne voyait pas de souris ni de chats pour les chasser, la poudre d’arsenic sur le sol étaient mortelle pour eux aussi.

La tristement célèbre histoire de Matilda Scheurer, jeune fleuriste londonienne de 19 ans, nous montre les effets ravageurs de la poudre d’arsenic que ces ouvrières respiraient à longueur de journée. Dans ces dernières heures en 1861, Matilda se mit à vomir vert, le blanc de ses yeux étaient devenu vert et peu avant sa mort elle se mit à convulser et à baver de manière incontrôlable.

Des dangers connus mais ignorés

Mais que faisait l’inspection du travail ou son équivalent me direz-vous ? Les dangers de l’arsenic étaient connus mais le vert étaient partout et continuait à être en vogue. Au cours du XIXème siècle, plusieurs médecins ont tiré la sonnette d’alarme sur les conditions de travail des « fleuristes » et des ouvriers au contact du vert arsenical mais sans grand résultat.

Le problème était qu’il n’y avait pas de pigments alternatifs au vert arsenical et que les femmes riches étaient prêtes à supporter quelques irritations pour pouvoir porter cette couleur, qu’importe si cela impliquait que des ouvrières mirent leur santé en danger pour confectionner leurs accessoires.

Ce n’est que dans les années 1870-80 qu’un nouveau pigment vert plus sain, le vert cobalt, fît son apparition et que le vert pu devenir une couleur presque comme les autres. Car la couleur vert continue d’être entourée de superstitions et d’une sorte d’aura mystique, notamment pour les vêtements. Elle est par exemple très peu utilisée au théâtre car elle porterait malheur, elle est aussi peu appréciée dans les maisons de haute couture comme chez Chanel car les couturières n’aiment pas travailler avec cette couleur. De plus, dans l’imaginaire collectif le vert conserve certaines connotations négatives. On peut être vert de rage ou de jalousie et c’est aussi une couleur utilisée pour représenter une personne malade ou nauséeuse.

Une chose est certaine, l’histoire de la couleur verte est tout à fait fascinante et nous rappelle que nous avons la chance de vivre dans un monde où les dangers de l’arsenic, du mercure, du plomb et autres métaux lourds sont connus et relativement contrôlés.

Alors, la prochaine fois que vous porterez un vêtement vert, rappelez-vous que c’est une couleur qui revient de loin.

Sources

Amusidora

Hello ! Moi c'est Claire. Eternelle curieuse, je suis passionnée d'Histoire de la mode et d'histoires insolites, toujours en quête de nouvelles choses à apprendre (et souvent difficiles à placer en soirée, certes). J'adore me plonger dans de vieux livres d'époque et je collectionne aussi de vieux papiers et des revues anciennes. Mes sujets de prédilection ? La première moitié de XIXème siècle et la période Art Déco, mais pas uniquement. Je partage ici mes trouvailles pour tous les curieux qui voudront bien passer un moment sur ce blog.

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