Histoire des premières montagnes russes et promenades aériennes

Dans cet article, nous allons parler frissons, adrénaline, accidents et liqueur du Docteur Villette : nous allons parler montagnes russes (et aussi montagnes égyptiennes vous verrez) !

Au détour d’une recherche d’images sur Pinterest, je suis tombée sur une gravure du début du XIXème siècle représentant des montagnes russes. Le sujet a piqué ma curiosité et il fallait que je creuse.

Me voilà donc partie dans la spirale habituelle de recherche de sources primaires sur Gallica et après de nombreuses heures de lecture, j’ai déjà de quoi vous proposer un modeste tour d’horizon sur le thème des montagnes russes sur la période 1815-1819. C’est parti !

Les montagnes russes, premières du nom

Nous n’allons pas parler uniquement de montagnes russes. Les montagnes russes sont en effet le premier exemple de ce type de structure mais elles ont été déclinées sous plusieurs ‘appartenance géographiques’, si l’on peut dire.

Les montagnes russes étaient les premières du nom vers 1816. Elles ne correspondaient pas encore à notre définition moderne des montagnes russes mais consistaient simplement en une grande tour avec d’un côté un escalier et de l’autre une pente parabolique. On montait par l’escalier et l’on redescendait de l’autre côté dans un char à roues. On nous donne une très bonne description de la structure des montagnes russes dans le Journal des débats politiques et littéraires :

Les Montagnes Russes sont des espèces de tours carrées, construites en maçonneries. Ces tours, terminées en plateformes, sont hautes de trente-six pieds [10m] et flanquées de deux rampes droites, l’une en escalier, l’autre en glissoire. Celle-ci à 360 pieds [environ 100m] de développement sur un plan parabolique et donne voie à trois chariots.

La forme du chariot et celle d’une petite caisse de cabriolet à une seule place, montée sur quatre roulettes basses. Les essieux sont armés à leurs extrémités de petites roulettes horizontales qui s’engagent dans des rainures pour empêcher le chariot de s’accrocher ou de verser dans sa course rapide. Un de ces chariots lesté de son voyageur parcourt ainsi les 360 pieds en neuf secondes [environ 40 km/h]. Ceux que le jeu amuse et qui le veulent recommencer, remontent l’escalier à pied, tandis qu’au moyen d’une poulie, on reporte le chariot sur le sommet de la montagne.

Journal des débats politiques et littéraires – 2 octobre 1816
Des tours de 10 mètres de haut supportent de rampes paraboliques permettant d’attendre les 40 km/h à bord d’un char à roulettes.

Les montagnes russes ont ainsi diverti les Parisiens pendant près de six mois avant que n’arrive la concurrence. Dans Le Rôdeur français on nous explique que chaque quartier de Paris a ses montagnes : on en trouve à la barrière des Trois Couronnes, sur le boulevard Montparnasse, au faubourg du Roule et même aux Champs-Elysées.

Ces montagnes sont construites dans des jardins qui sont des lieux de loisirs pour les Parisiens. On y vient pour se divertir, s’installer à la terrasse d’un café ou courtiser les jeunes filles. L’extrait suivant nous donne un aperçu de l’ambiance et du mélange social qui régnait autour de ces promenades :

Le marchand retiré, le rentier économe, y conduisent leur famille; et là, chacun d’eux, avec la petite pièce d’argent, se procure le plaisir de prendre son café en voyant dégringoler son voisin et danser sa voisine. La jeune ouvrière en linge, la modiste de la rue du Paon, y rencontrent l’étudiant en droit, ou en médecine qui profite de son séjour dans la capitale des arts pour ébaucher un cours de galanterie.

Le Rôdeur français, ou Les mœurs du jour. Michel-Nicolas Balisson de Rougemont, 1817

Des montagnes jusque dans les théâtres

Comme toutes les activités en vogue à l’époque, les montagnes russes sont déclinées à toutes les sauces. On l’a déjà vu avec l’arrivée d’une girafe à Paris par exemple. Pour ce qui est des montagnes, elles sont même entrées dans les théâtres. A l’occasion du carnaval, l’Odéon à Paris a installé des montagnes russes de manière temporaire directement dans sa salle. On pouvait ainsi glisser depuis les balcons jusque dans le parterre comme on peut le voir dans cette gravure du Bon Genre :

« L’Odéon fait établir dans sa salle des montagnes russes pour le Carnaval ! Les masques pourront dégringoler du paradis dans le parterre », Journal des débats politiques et littéraires, 20 janvier 1817

Les vaudevillistes n’ont pas non plus manqué une occasion de surfer sur la vague (ou, en l’occurrence, de glisser sur la pente) des montagnes russes et on a pu voir fleurir quelques pièces intitulées, sans surprise, Les Montagnes Russes au théâtre des variétés et au théâtre du vaudeville notamment.

Le brevet d’invention des montagnes russes

Qui dit divertissement populaire dit forcément histoire de gros sous et de propriété. Les montagnes russes ont fait l’objet de plusieurs procès pour déterminer qui avait eu l’idée en premier et qui était donc le propriétaire du concept.

On nous raconte dans le Journal des débats politiques et littéraires du 28 mai 1817 que les auto-proclamés inventeurs des montagnes russes, messieurs Julien, Guérin et Laurent, ont par exemple tenté de faire valoir leur brevet d’invention sur les promenades suisses du boulevard du Mont-Parnasse en 1817.

M. Benoiste, inventeur desdites montagnes suisses, s’est défendu en disant qu’il était parti d’une description de montagnes russes tirées d’un ouvrage de 1814 (deux ans avant les montagnes russes de Paris donc). Il n’avait donc pas fondamentalement copié l’invention de messieurs Julien, Guérin et Laurent.

Au grand désespoir des demandeurs, le tribunal a conclu qu’il n’était concrètement pas possible d’inventer une montagne russe. Leur argument étant que depuis l’Antiquité l’on descend des pentes dans divers types de véhicules (comme des luges sur la neige). Les montagnes russes ne sont donc pas une invention et sont tout au plus une imitation/adaptation de quelque chose qui existait déjà il y a des milliers d’années. Pas de brevet d’invention pour messieurs Julien, Guérin et Laurent !

La concurrence : les montagnes françaises ou promenades aériennes du jardin Beaujon

En 1817, on inaugure les montagnes françaises ou promenades aériennes dans le jardin Beaujon. Elles fonctionnent sur le même principes que les montagnes russes à la différence qu’elles possèdent deux pistes pour descendre au lieu d’une seule.

L’image ci-dessous nous donne un aperçu de la structure de ces montagnes à double pistes et de l’animation qui pouvait régner à la folie Beaujon (autre nom du jardin Beaujon). En bas à droite on peut voir un serveur qui amène des boissons à un couple assis à une table. En bas de la structure, au niveau de la piste centrale on voit également le tout petit guichet où l’on pouvait acheter ses billets.

Les curieux qui n’étaient pas amateurs de descente à pleine vitesse pouvaient se contenter de monter à pieds par une voie réservée le long des pistes de chars jusqu’au belvédère central. Ils étaient alors récompensés par une vue panoramique sur Paris et sa campagne.

Ces promenades aériennes du jardin Beaujon étaient si populaires que même le roi Louis XVIII s’y est rendu le 2 août 1817, comme le commémore cette gravure. Source

Ce ne sont pas les représentations qui manquent pour ces montagnes françaises. Elles ont été illustrées sous tous les angles et en voici une petite sélection qui permet de se rendre compte de la taille de la structure et des gens qui fréquentaient la folie Beaujon :

Les précaires montagnes égyptiennes

Les montagnes égyptiennes, quant à elles, virent le jour faubourg poissonnière en 1818. Elles avaient un petit côté ‘exotique’ car les garçons de services étaient en costume traditionnel égyptien.

Autre particularité : les montagnes égyptiennes n’avaient pas d’escaliers pour accéder au haut de la pente mais un ascenseur vertical. On remontait donc les gens et les chars en haut de la pente par une sorte de plateforme ou ‘pont volant’ tenu par trois cordes et actionné grâce à des contrepoids et trois chevaux. Dans un journal de l’époque, on nous décrit la structure précaire comme suit :

Le plancher ne repose pas solidement sur un mur plein ou sur des arcades multipliées, comme celui de nos vieilles montagnes de deux ou trois ans. L’architecte a visé à la légèreté, à l’économie et à la bizarrerie, aux risques et périls des amateurs.

Le plancher lancé dans les airs, sans autre soutien que le toit d’un café placé vers le milieu de la pente, le dépasse de plus de six toises [10 m], et, à une hauteur de 60 pieds [20 m], l’extrémité supérieure pose sur deux pieds droits, ou poteaux formés de quatre poutres de moyenne grosseur.

Entre ces deux poteaux est placé un véritable pont volant, destiné à enlever à-la-fois six voyageurs, trois chars et deux garçons-égyptiens […].

Le Spectateur politique et littéraire, 1er mars 1818

Sur l’image ci-dessous on peut observer l’une des rares représentation de montagne égyptienne et précisément de celle dont parle l’extrait ci-dessus. On voit distinctement la pente reposer directement sur le toit d’un café. Ce n’est pas un effet de perspective. Le café sert bien de soutien à la piste des chars !

Les montagnes égyptiennes du faubourg poissonnière avec leur ascenseur vertical et la piste reposant à même le toit d’un café pour supprimer le besoin de structure de soutien.

L’accident qui devait arriver

Il semble que ces promenades égyptiennes bricolées sans ‘grand effort de science et de génie’ étaient, sans surprise, assez dangereuses. Il est fait mention dans le journal strasbourgeois Niederrheinischer Kurier de plusieurs accidents qui ont eu lieu le jour de l’ouverture en mai 1818 : un homme est sorti des rails avec son char et l’une des cordes de l’ascenseur s’est rompue pendant une ascension, faisant chuter plusieurs personnes ainsi que les chars. Aucun blessés à déplorer mais une belle frayeur pour tout le monde.

D’un autre côté, suspendre une plateforme transportant huit personnes et trois chars à seulement trois cordes, c’était un peu optimiste.

Dans une édition du Spectateur de 1818, l’un des auteurs nous raconte en détails son expérience de la montagne égyptienne et nous raconte l’incident de la corde rompue, auquel il a assisté en direct. Le tout non sans jugement sur la dangerosité de ces promenades. Vous pouvez consulter le document ici, il est un peu long pour l’intégrer dans cet article.

Une autre représentation de promenade égyptienne mais celle-ci ressemble davantage à une montagne russe classique.

Les médecins vantent les bienfaits des promenades aériennes

Si vous ne mourrez pas dans une terrible chute d’ascenseur de montagnes égyptiennes, les promenades aériennes sont excellentes pour la santé. Le travail du docteur François Frédéric Cotterel est souvent cité dans les publications de l’époque pour appuyer l’aspect bénéfique du grand air et de ces promenades. Dans un petit ouvrage de cinquante pages, le docteur Cotterel nous explique :

Il suffit pour faire sentir tous les avantages des promenades aériennes, par rapport à la santé, de rappeler ce que peuvent l’air et l’exercice. Non seulement ces promenades sont, dans la plupart des cas, un moyen d’affermir et de conserver la santé et par conséquent la fraicheur du teint ; mais, dans beaucoup d’autres, elles contribuent puissamment à les rétablir.

Promenades aériennes ou Montagnes françaises, considérées sous le rapport de l’agrément et de la santé. François Frédéric Cotterel, 1817.

L’idée générale de son petit ouvrage est que les promenades aériennes sont finalement une bonne source d’exercice. L’activité physique est, selon lui, un excellent remède à une multitude de maux comme les dartres, la mollesse, la leucorrhée, la goutte, l’indolence, l’hypochondrie ou la digestion difficile pour n’en citer que quelques-uns.

Aux promenades aériennes, on doit monter des marches puis redescendre à pleine vitesse dans un char, le tout au grand air. Cela active la circulation et donne de l’appétit nous dit-on. Cette activité a également le mérite, selon notre docteur, d’aérer la peau. Car à l’époque on pensait que la peau servait aussi à ‘respirer’ et que les maladies pouvaient rentrer dans le corps par la peau. Une peau exposée au grand air à grande vitesse est donc une peau plus propre et moins prône aux maladies selon les croyances de l’époque.

Le docteur Villette et son confortatif pour l’estomac

La popularité des montagnes russes était telle qu’il aurait été dommage de ne pas en profiter pour vendre quelque chose aux visiteurs de ces attractions. Le docteur Villette a ainsi installé un dépôt de sa liqueur de santé au pied de chaque montagne russe de Paris.

Cette liqueur à la composition inconnue est particulièrement recommandée contre la goutte et les rhumatismes mais il semblerait aussi qu’elle ‘dispose le sexe à la nubilité, et les deux sexes à la gaieté’ comme on peut le lire dans un avis du Journal politique et littéraire de Toulouse et de la Haute-Garonne du 25 février 1817.

La théorie c’est que l’élixir du docteur Villette ne faisait pas plus d’effet qu’un vers d’eau sucrée et que monsieur Villette était un petit fifrelin. Dans une publication de l’époque on dit non sans une pointe de moquerie :

Le docteur Villette a juré d’établir des dépôts de sa liqueur universelle au pied de toutes les montagnes présentes et futures. Il y fait graver sur chaque fiole la vue de sa maison de santé des Champs-Elysées : c’est un fort joli dessin, et la bouteille offre à la fois un confortatif pour l’estomac, et un spectacle très agréable pour les yeux. Qu’on se garde bien de croire qu’il entre du charlatanisme dans le fait du docteur : […] il veut faire parler de lui parce que c’est un moyen de débiter sa marchandise. Voilà tout.

Journal des débats politiques et littéraires, 25 novembre 1816

Donc concrètement, le docteur Villette est venu vendre ses potions inoffensives au pied des montagnes russes pour faire une opération de communication et faire connaître sa maison de santé des Champs Elysées. Les coups de com’ ça ne date pas d’hier manifestement.

Une potion magique aux effets non vérifiés

Pour confirmer la théorie du fifrelin, on peut lire dans une sorte de dictionnaire des élixirs de 1819 que ce roublard de monsieur Villette aurait envoyé une recette incomplète de sa liqueur au bureau des remèdes secrets.

Note : Le bureau des remèdes secrets on dirait un nom de confrérie mystique mais de ce que j’ai compris un remède secret c’est une médicament dont on ne connait pas exactement la composition, ou parfois c’est un peu une recette de grand-mère. Le terme de remède secret existe encore de nos jours et on en trouve des mentions dans le droit français.

A l’époque on devait faire une demande au bureau des remèdes secrets pour, en quelques sortes, faire homologuer un médicament pour la vente au public. On envoyait un échantillon du médicament, une description de ses vertus ainsi que sa recette complète sous cachet et des commissaires se chargeait de tester l’efficacité du médicament. Il semblerait donc que le docteur Villette avait quelque chose à cacher quant à la composition de sa liqueur de santé.

En même temps, quand on voit que près de cent ans plus tard on fabriquait du Globéol à base de sang de cheval on ne s’étonne plus des recette farfelues ou purement placebo des remèdes d’antan.

Pour finir

C’est donc sur ces considération médicales et ces remontants pour l’estomac que s’achève cet article. J’espère qu’il aura su vous intéresser que, comme moi, vous avez appris plein de choses sur l’origine des montagnes russes. Certes, ce ne sont pas des infos faciles à placer en soirée mais si vous lisez mes articles j’imagine que vous êtes du genre curieux et que vous y trouvez votre compte.

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Amusidora

Hello ! Moi c'est Claire. Eternelle curieuse, je suis passionnée d'Histoire de la mode et d'histoires insolites, toujours en quête de nouvelles choses à apprendre (et souvent difficiles à placer en soirée, certes). J'adore me plonger dans de vieux livres d'époque et je collectionne aussi de vieux papiers et des revues anciennes. Mes sujets de prédilection ? La première moitié de XIXème siècle et la période Art Déco, mais pas uniquement. Je partage ici mes trouvailles pour tous les curieux qui voudront bien passer un moment sur ce blog.

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