J’ai trouvé cet intrigant document en flânant sur Gallica (chacun ses passe-temps) : Arrestation et interrogatoire d’une jeune femme déguisée en homme , qui sous ce déguisement était sur le point d’épouser une jeune fille de 1793. Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme arrêtée pour s’être faite passer pour un un soldat déserteur et s’être presque mariée avec la fille de la famille où elle était accueillie.
Je trouve ce document intéressant car d’une il est très facile et court à lire et de deux c’est passionnant de voir l’évolution des mœurs au fil des Âges. De nos jours on ne ferait pas cas d’une femme déguisée en homme, ni d’une femme amoureuse d’une femme (enfin beaucoup moins qu’à l’époque j’espère).
Mais cette petite histoire nous montre que la préoccupation principale des accusateurs est de savoir pourquoi cette femme s’est déguisée en homme. Quelle drôle d’idée pensent-ils. L’a-t-elle fait pour voler la dot de la famille ? Pour s’amuser ? Ou pire encore, pour « satisfaire une passion malheureuse que Diderot a si bien peinte » (leurs mots) ? Ah oui grand Dieu, l’homosexualité serait bien la pire des raisons pour s’être déguisée en homme et chercher à épouser une autre femme (*sarcasme*).
C’est juste captivant d’avoir accès aux préoccupations des contemporains du XVIIIème siècle à travers une source primaire. Et cela nous rappelle aussi que l’on aura toujours des mœurs étonnantes aux yeux des générations futures.
Assez bavardé, je vous laisse découvrir cette petite histoire qui se lit toute seule. Le plus frustrant ici c’est certainement que je n’arrive pas à trouver le résultat du procès de cette jeune femme et ce qu’elle aurait pu déclarer. Ca fait partie du jeu quand on aime les vieux documents, parfois on n’a pas l’histoire en entier…
Texte complet du document, l’orthographe est d’origine :
Arrestation et interrogatoire d’une jeune femme déguisée en homme.
Qui sous ce déguisement était sur le point d’épouser une jeune fille. Moyen dont elle s’est servi pour s’introduire chez les Parens de cette fille, se faisant passer pour un Déserteur de la première réquisition.
« Une femme qui avait coutume de s’habiller en homme, étoit reçue dans une maison honnête, par une fausse recommandation qu’elle s’était procurée sans que personne ne se doutât de son déguisement.
Elle se faisait passer pour un jeune homme de la première réquisition qu’on poursuivait de tous les côtés ; elle pria tous les membres de la famille qui l’admettoit dans sa société, de vouloir bien être discrets, de crainte qu’on ne l’arrêtât ; ce qu’elle obtint facilement, cette famille ne voulant pas mettre dans l’embarras un jeune homme qui avoit eu assez de confiance en elle pour lui faire un aveu de cette importance, qui d’ailleurs paraissait d’une faible complexion, et qu’elle pouvait présumer faisant des démarches pour obtenir son congé.
Ce prétendu jeune nomme, au bout de quelque temps, se lia étroitement avec la fille de la maison, et si étroitement, qu’il finit par en devenir amoureux et par la demander en mariage à son père. Ce dernier, après s’être assuré que sa fille aimait vivement le jeune homme, et, en bon père, ne voulant pas contrarier les inclinations de son enfant, ne fit pas difficulté de consentir à son union avec ce jeune homme qui parraissait bien élevé et n’avoir contre lui que d’être de la réquisition et d’avoir abandonné ses drapeaux, mais excusable par son peu de force pour soutenir les fatigues de la guerre, motif qui ne tarderait pas à lui faire obtenir une exemption de service.
Tout était arrêté pour la célébration du mariage, toutes les pièces qui devaient servir à l’appui avaient été fournies (on sent bien qu’elles étaient fausses et du moins qu’elles, n’appartenaient pas à celle qui s’en servait) par le prétendu, lorsque lui, qui avait recommandé aux autres d’être discrets sur son compte, commit des indiscrétions qui lui furent funestes, ayant été rapportées à, son futur beau-père, qui reconnut que sa fille et lui avaient été indignement abusés.
Alors, pour l’honneur de sa fille, sans perdre de temps, il fit la déclaration de tout ce qui s’était passé à un officier judiciaire, qui fit saisir la prévenue et conduire en prison, après avoir été préalablement interrogée par le jury d’accusation.
Quelles étaient les intentions de cette jeune fille ?
De se donner le plaisir d’une comédie vraiment neuve, en jouant adroitement un rôle, assez difficile, jusqu’au dénouement ? La tentative était folle, elle est condamnable, et mérite une punition capable de retenir les esprits irréfléchis et entreprenans, qui seraient tenté de la renouveler. Vouloit-elle escroquer une dot considérable, et disparaître après l’avoir reçue ? Voulait-elle enfin satisfaire une passion malheureuse que Diderot a si bien peinte ? Les éclaircissemens qui résulteront de la procédure, dévoileront le vrai projet que cette fille avait conçu, et le résultat qu’elle s’en promettait. Les détails de ce procès seront fort intéressant.
Le tribunal criminel du département de la Seine va prononcer incessamment sur cette affaire dont il est saisie. »