1827 : une girafe arrive pour la première fois à Paris

Comme je passe beaucoup trop de temps sur Gallica (site de la Bnf), je finis généralement par tomber sur des documents qui n’ont rien à voir avec ce que je cherchais à la base mais qui piquent ma curiosité.

Je me retrouve alors aspirée dans une spirale infernale avec 80 onglets ouverts et l’envie de lire tous les documents connectés à ce que je suis en train de découvrir.

Les connaissances sur la girafe au début du XIXème siècle

Le sujet du jour est l’arrivée de la première girafe en France et le point de départ de mes recherches est une Notice sur la girafe envoyée au roi de France par le pacha d’Égypte. Il s’agit d’une notice de 1827 qui nous raconte le périple de ladite girafe (parfois orthographiée ‘giraffe’ aux XIXème siècle). J’ai trouvé des dizaines de documents en lien avec cette histoire. En voici une tentative de synthèse.

A l’époque, une girafe est un animal qu’on a jamais vu vivant en France. La seule description du mammifère dont on dispose est celle du scientifique Buffon qui lui même ne tire ses observations que de ce que des voyageurs lui ont raconté.

La girafe, dit Buffon, est un des premiers, des plus beaux, des plus grands animaux, et qui, sans être nuisible, est en même temps l’un des plus inutiles. La disproportion énorme de ses jambes […] fait obstacle à l’exercice de ses forces. […] Sa peau est tigrée comme celle de la panthère, et son col est long comme celui du chameau.

Citation de Buffon dans le Journal des débats politiques et littéraires, 5 juillet 1827
Notre chère, celle qui est citée dans cette notice

Une girafe offerte à la France par le pacha d’Egypte

Le voyage de notre girafe débute en Afrique. La girafe dont nous parlons fût capturée pour le pacha d’Egypte quand elle avait 2 mois. On tua la mère pour s’emparer de ses deux petits et on envoya la carcasse de la mère jusqu’au Caire sur le dos de quatre chameaux pour qu’elle soit mangée !

Les deux bébés girafe furent transportés jusqu’au Caire en marchant de caravane en caravane et ensuite en descendant le Nil à bord d’une barque construite exprès pour l’occasion.

Une fois au Caire, le pacha garda les girafes pendant quelques mois pour qu’elles puissent se remettre de leur voyage. Il offrit ensuite ces girafes au roi de France et au roi d’Angleterre. Un tirage au sort détermina quelle girafe irait à quel roi. La France eut la main plus chanceuse puisque la girafe destinée a l’Angleterre est morte par la suite .

Arrivée à Marseille

Le voyage de notre survivante française continua donc jusqu’à Marseille où elle fût accueillie par une succession de célébrations.

[…] elle entra dans Marseille le 14 novembre 1826. M. le préfet, comte de Villeneuve, la plaça dans des dépendances de son hôtel, et lui fit donner des soins qui furent efficaces, car elle n’a cessé de jouir, durant son séjour à Marseille, de la meilleure santé.

Annales de la littérature et des arts, 1827

Elle resta à Marseille sept mois et demi pour ne pas mettre en danger sa santé en la faisant voyager pendant l’hiver. Le voyage se poursuivit ensuite vers Lyon en marchant 25 à 30 kilomètres par jour.

Mésaventure à Lyon

A son arrivée à Lyon, la girafe causa un petit mouvement de panique malgré elle. La girafe fût effrayée par la foule massée autour d’elle pour l’apercevoir et s’échappa, causant un grand désordre :

Malgré les éloges que nous avons donnés au caractère éminemment doux de l’ovis fera, nous devons avouer qu’elle a fait ce matin quelques sottises. Les curieux ayant couru très vite de son côté, elle a pris peur est s’est mise à galoper autour de la statue de Louis XIV. […] Les gardes avaient beau dire au peuple de ne pas courir, de peur de l’effrayer, on n’en courait que plus vite, les uns pour s’esquiver, les autres pour voir la giraffe au galop.

Journal politique et littéraire de Toulouse et de la Haute-Garonne, 16 juin 1827

Le pèlerinage de notre girafe continua ensuite par la voie fluviale. Le préfet de Lyon jugeant qu’il serait bon d’économiser les jambes de notre illustre invitée.

Arrivée de la girafe à Paris

La girafe arriva à Paris à 17h30 le 30 juin 1827 (oui, c’est précis). La semaine suivante, elle attira plus de 10 000 curieux au Jardin des Plantes où elle été hébergée.

Son arrivée donna lieu à de nombreux articles de presse décrivant minutieusement l’animal. Mais tous les journalistes ne sont pas convaincus par la grâce et le beauté de notre géante :

Si, comme on en est d’accord, la beauté pour l’animal consiste dans la proportion entre les parties qui le composent et la juste mesure de chacune d’elles […], la girafe n’est pas l’un des plus beaux animaux, elle est un des plus laids, le plus laid, sans contredit, des grands quadrupèdes.

Journal des débats politiques et littéraires, 5 juillet 1827

Cette opinion fait écho à la description d’une girafe par Buffon (plus haut dans cet l’article), la donnant comme l’un ‘des plus beaux, des plus grands animaux’. Manifestement, la girafe n’est pas au goût de tout le monde.

La girafe à toutes les sauces !

Ce géant quadrupède, comme toutes les nouveautés de l’époque, fût aussi une source d’inspiration et des déclinaisons à bien des égards. Le 9 juillet 1827, moins d’un mois après l’arrivée de la bête à Paris, on joue déjà une vaudeville intitulée ‘La Giraffe’ au théâtre de la rue de Chartres !

Première représentation de la Giraffe, ou une Journée au jardin du Roi.
A peine quelques amateurs empressés ont eu le temps d’admirer la giraffe, dont la manificence du pacha d’Egypte vient d’enrichir notre ménagerie, et déjà le théâtre du Vaudeville offre aussi sa giraffe aux habitués de la rue de Chartres. C’est bien d’arriver vite, serait-ce là le seul mérite de la pièce ?
La scène se passe dans le Jardin du Roi, au pied du cèdre du Liban;
la giraffe doit arriver le jour même, et tout le monde y est amené par le désir devoir la bête aux jambes inégales.

Le Courrier des tribunaux, 9 juillet 1827
Girafe ou diplodocus, on est pas encore sûrs…

Dans une publicité du journal des débats politiques et littéraires de 1827, le Grand Magasin de Gide Fils propose  »Le jeu de la Giraffe’ à 5 francs ainsi qu’une ‘La ménagerie du jardin des plantes’ à 6 francs dans ces nouveautés pour les étrennes.

Et on écrit beaucoup à propos de la girafe. On écrit sous toutes les formes littéraires. Louis-François Jauffret, écrire une série de Trois fables sur la giraffe (dont une traduite en latin s’il-vous-plaît).

Un auteur anonyme écrit une Lettre de la girafe au pacha d’Égypte pour lui rendre compte de son voyage à Saint-Cloud et une Seconde lettre de la girafe au pacha d’Égypte. Ces deux lettres sont en réalité un prétexte pour effectuer une analyse des mœurs et de la politique française du point de vue ‘neutre’ de la girafe qui découvre ce pays.

Charles François Bertu nous propose, quant à lui, Dame Girafe à Paris . Aventures et voyages de cette illustre étrangère, racontés par elle-même.

La girafe jusque dans les cheveux

Mais la girafe n’inspire pas que les auteurs, elle inspire aussi les modes capillaires ! Comme j’ai déjà pu le mentionner dans mon article sur la mode sous le Directoire, toutes les nouveautés qui arrivent à Paris sont une source d’inspiration. C’est ainsi qu’on a pu voir apparaître la coiffure ‘à la chinoise’ ou les bonnets ‘à la rhinocéros’ au début du XIXème siècle.

Le girafe ne déroge pas à la règle et 1827 sonne l’avènement de l’iconique coiffure ‘à la girafe’ qui restera en vogue pendant une bonne partie des années 1830. Il s’agit d’une coiffure inventée par Croisat, célèbre coiffeur de cette époque, qui consiste à former des coques avec les cheveux pour gagner le plus de hauteur possible, comme une giraffe !

Exemples de coiffures à coques ou variantes de la coiffure ‘à la giraffe’, années 1830

On retrouve même la girafe jusque dans des livres de grammaire comme ce Journal grammatical et didactique de la langue française qui utilise le séjour de la girafe à Lyon dans ses exemples ! Dans des explications sur l’emploi du subjonctif on nous explique qu’il existe des exceptions

Si l’on a acquis la certitude que [la girafe] est encore à Lyon, on peut dire :

Je sais que la Girafe est encore à Lyon : je ne parie donc pas qu’est EST arrivée à Paris; je paris au contraire, qu’elle est à Lyon

Journal grammatical et didactique de la langue française, circa 1827

Une nouveauté en pousse une autre

Comme à toutes les époques, la nouveauté s’épuise vite et se retrouve rapidement remplacée par le suivante. Deux mois seulement après l’arrivée de la girafe à Paris, on parle déjà de l’arrivée de ‘six sauvages américains’ au Havre dans Le Courrier Français du 7 août 1827. On précise même que :

L’arrivée de ces [six sauvages américains] ne pouvait venir plus à propos; l’attention publique commençait à se lasser de la girafe; les Osages vont lui offrir une diversion; un heureux hasard semble se plaire à varier les jouissances du public parisien.

Le Courrier français, 7 août 1827
Source Gallica

Des animaux sauvages aux visiteurs venus de contrées lointaines, tout est sources de divertissement pour le public parisien !

Conclusion

J’espère que cet article vous aura emporté dans le même tourbillon que moi. A priori ce n’est pas mon sujet de prédilection mais le foisonnement de documents autour de l’arrivée de cette girafe était tout simplement captivant !

A travers cet article, j’ai l’impression d’avoir pu capturer une infime partie de l’Histoire de France. Nous vivons à une belle époque en termes d’accessibilité de l’information. Il est si facile d’assouvir notre curiosité sur tant de sujets avec des dizaines de source primaires disponibles en ligne.

Je m’en retourne maintenant dans les méandres de Gallica à la recherche de ma prochaine trouvaille.

Amusidora

Hello ! Moi c'est Claire. Eternelle curieuse, je suis passionnée d'Histoire de la mode et d'histoires insolites, toujours en quête de nouvelles choses à apprendre (et souvent difficiles à placer en soirée, certes). J'adore me plonger dans de vieux livres d'époque et je collectionne aussi de vieux papiers et des revues anciennes. Mes sujets de prédilection ? La première moitié de XIXème siècle et la période Art Déco, mais pas uniquement. Je partage ici mes trouvailles pour tous les curieux qui voudront bien passer un moment sur ce blog.

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